Mille et une questions sur les nouvelles technologies en 2024 – 3/3
Ce dernier volet des « mille et une questions sur les nouvelles technologies en 2024 » s’ouvre sur une divergence d’opinion sur l’encadrement de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.

Le 2 septembre 2024, la cour suprême a confirmé la décision d’interdiction de l’accès à X au Brésil. Cette décision vient à la suite d’un long feuilleton où X était accusé de ne pas respecter des décisions de justice au Brésil. En effet, la justice brésilienne avait décidé la fermeture de certains de ces comptes pour désinformation. En cause, la remise en question par ces comptes du système de vote électronique ayant permis au président Lula d’être élu.
En avril 2024, Le juge Alexandre de Moraes a donc ouvert une enquête sur la réouverture de ces comptes X suspendus. D’après X, les restrictions auraient été contournées par certains utilisateurs. On peut débattre des motivations politiques derrière les décisions de fermeture de ces comptes si on veut. Néanmoins, le choix de procéder ou non à la fermeture des comptes n’appartient normalement plus à la plateforme dès lors qu’il est dicté par une décision de justice. Du moins, c’est cette tendance qui résulte généralement de la pratique et des conditions générales de la plupart des réseaux sociaux. Le bras de fer entre X et la justice brésilienne a donc paru inédit tant X donnait l’impression de questionner l’application de la liberté d’expression par une autorité judiciaire d’un pays tiers. Elon Musk ira jusqu’à déclarer que « la liberté d’expression est le fondement de la démocratie et, au Brésil, un pseudo-juge non élu est en train de la détruire à cause de motivations politiques ».
La menace d’interdiction deviendrait-elle l’arme ultime pour faire plier les toutes puissants plateformes internationales aux règles du for où ils s’établissent ? En l’occurrence, X a fini par payer les amendes et procéder aux changements requis par la justice brésilienne. Nul n’est au-dessus de la loi, n’est-ce pas ?

Ce mois d’Octobre 2024, Free a porté à la connaissance de ses clients une fuite de données de 19 millions d’abonnés ; ont été ciblées les informations sur les nom, prénom, adresse email et postale, date et lieu de naissance, numéro de téléphone, identifiant abonné et informations contractuelles. Les mots de passe n’étaient pas concernés. Encore heureux ! En théorie, ceux-ci ne sont pas censés être stockés par le fournisseur. Dans la foulée, l’on apprendra que des références du compte bancaire ou IBAN ont été aussi subtilisées. Environ 19 millions de données dont 5 millions de références IBAN seraient dans la nature. Comme on pouvait l’imaginer, elles ont été vendues sur le darkweb.

Cet énième vol de données de l’année a suscité de vives réactions. En Septembre, c’était un autre opérateur de téléphonie mobile et fournisseur d’accès internet qui communiquait à ses clients une fuite du même calibre.
L’on peut imaginer la frustration qui vient avec ces messages où l’on est informé du vol de ses données. Sans plus. Et ces messages s’enchaînent. Avec parfois quelques astuces « généreusement » prodiguées au concerné pour se protéger d’un usage malveillant de ses données par les pirates.
Cette intrusion dans les données de Free est la énième d’une année particulièrement émaillée de fuites de données de toutes sortes d’entités, des entreprises privées comme des administrations. Si d’aucuns se posent la question des garanties qui entourent la conservation des données, certains s’interrogent sur les obligations de protection des données collectées, surtout les plus sensibles. Il devient de plus en plus difficile à faire entendre aux victimes que ces intrusions ne sont pas parfois le fait d’une négligence. Faudrait-il qu’en cas de piratage de données, la personne qui a la garde des données montre patte blanche en justifiant qu’il y a eu un minimum de garanties mises en œuvre pour protéger les données ?
Quelles que soient les précautions, ces fuites sont inévitables. L’on sait que la collecte et le stockage de données doivent répondre à une nécessité, nécessité définie dans le temps. Ainsi, pour certaines données, la question de la nécessité de conservation pourrait se poser, pour peu que l’on veuille bien s’attarder au cas par cas sur le détail des données dérobées.

En Novembre 2024, on apprenait qu’un tableau représentant un portrait en noir et blanc d’Alan Turing, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’IA, avait été vendu à environ un million de dollars. Intitulé « AI god », le dieu de l’IA, l’œuvre a été réalisée avec l’intelligence artificielle par AI-DA, un humanoïde mis au point par Aidan Meller. Ce portrait rejoint la lignée des œuvres réalisées par l’IA, avec les inquiétudes qu’elles suscitent auprès des artistes humains. L’on se souvient de « Théâtre d’opéra spatial », un tableau qui avait remporté le premier prix de la foire d’art « Colorado State Fair ». Si, dorénavant, l’on tend à voir l’IA comme un outil derrière lequel se trouve un humain qui pilote l’œuvre, le cas particulier où c’est un humanoïde qui tient le pinceau sous la dictée d’une IA relance le débat sur la qualité d’auteur d’une intelligence artificielle.

Un réseau social peut-il être tenu responsable des challenges dangereux qu’il laisse circuler sur sa plateforme ? Au Venezuela, le 21 novembre 2024, la Cour Suprême a répondu à cette question par l’affirmative. Tik Tok s’est donc vu infliger une amende de dix millions de dollars pour négligence dans le contrôle des défis en ligne. Trois adolescents étaient morts des suites d’un défi viral sur Tik Tok et deux cent ont été empoisonnés après l’inhalation de substances chimiques.

Cette décision de justice n’est pas sans rappeler la séquence d’excuses de Mark Zuckerberg aux familles des victimes de harcèlement et de toutes sortes de méfaits des réseaux sociaux, devant le sénat américain le 31 janvier 2024. Le souci des dangers encourus par les jeunes sur les réseaux sociaux est grandissant. Que faut-il mettre en place pour protéger les enfants, de plus en plus connectés ? Des interdictions comme en Australie où, depuis le 28 novembre 2024, les réseaux sociaux sont interdits aux moins de 16 ans ? Ces interdictions ne peuvent-elles pas être facilement contournées ? Faut-il prévoir des versions des réseaux sociaux pour les jeunes avec une plus forte modération ? Doit-on planifier une implication des parents dans les activités en ligne de leurs enfants par le biais d’une autorisation parentale lors de l’inscription ainsi qu’une possibilité de supervision permanente des parents?

Les 16 et 17 décembre 2024, des plaintes ont été déposées par le République Démocratique du Congo en France et en Belgique contre Apple pour recel de crimes de guerre au profit du Rwanda. La firme américaine est accusée par la RDC d’utiliser des « minerais exploités illégalement » alors même qu’elle assurerait que ces chaînes d’approvisionnement sont propres.
À quoi vont aboutir ces plaintes concrètement ? Nous en saurons plus dans les prochains jours. Précisons que la firme de Cupertino, de son côté, affirme son attachement à un achat de minerais propres, si bien qu’elle aurait commandé des audits indépendants sur ses chaînes d’approvisionnement d’une part, et d’autre part, consécutivement aux réclamations de la RDC, elle a demandé à ses fournisseurs de suspendre leur approvisionnement de minerais en RDC et au Rwanda. Si les faits reprochés étaient avérés après les enquêtes judiciaires, Apple encourt des amendes. Est-ce que cet usage de minerais de sang aurait pour autant un impact sur le client d’Apple ? C’est mine de rien sur cette sensibilisation à la crise du Nord Kivu auprès de l’opinion publique internationale que pourrait jouer la communication autour de cette plainte. L’on sait qu’en Belgique, la plainte a été considérée comme étant recevable. Depuis, une enquête a été ouverte. Pendant ce temps, les rebelles du M23, soupçonnés d’être à la solde du Rwanda, ne cessent leur progression sanguinaire.
Toutes ces questions évoquées dans les trois volets de « mille et une questions sur les nouvelles technologies en 2024 » sont désormais récurrentes. Chacune d’entre elles renferme mille et une problématiques sur lesquels nous aurons certainement l’occasion de revenir en 2025. Allez, meilleurs vœux ! Et surtout, qu’on n’arrête pas le progrès !
Mood Music: The Troubles - U2, Lykke Li - 2014.
