Pleins phares sur les nouvelles technologies

Mille et une questions sur les nouvelles technologies en 2024 – 2/3

Voici le deuxième volet des mille et une questions suscitées par les nouvelles technologies en 2024. Cette deuxième partie continue à mettre en lumière certaines interrogations liées au digital. Quelques affaires judiciaires sont également soulignées ici. Elles témoignent toutes des difficultés des autorités étatiques à obtenir une modération efficace malgré une volonté grandissante de contrôler les activités sur les réseaux sociaux.

Sous fond de crise en Nouvelle-Calédonie, l’application Tik Tok avait été suspendue sur l’archipel par le gouvernement qui s’est basé sur la théorie des circonstances exceptionnelles. Considérant que cette décision portait atteinte à la liberté de communication et à la liberté d’information, la quadrature du net, la ligue des droits de l’homme et trois habitants de Nouvelle-Calédonie avaient déposé un référé-liberté auprès du Conseil d’Etat. Le jeudi 23 mai 2024, le Conseil d’Etat a rejeté le référé au motif que l’urgence n’avait pas été caractérisée par les requérants.

Selon le communiqué de presse du Conseil d’Etat, « Pour que le juge des référés-libertés puisse intervenir, la décision de l’administration doit porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale mais il faut aussi que la condition d’urgence prévue par la loi soit remplie, c’est-à-dire que la mesure contestée ait des conséquences immédiates et concrètes sur la situation des requérants et sur leurs intérêts. Pour apprécier si cette condition d’urgence est satisfaite, le juge des référés doit en outre tenir compte de l’intérêt public qui s’attache à la mise en œuvre de la mesure contestée.

Dans cette affaire, les requérants se bornent à soutenir qu’il existe une atteinte aux libertés d’expression et de communication, mais n’apportent aucun élément justifiant de l’urgence. Ils estiment en effet qu’on se trouverait dans une hypothèse où l’atteinte aux libertés est suffisamment grave pour que soit reconnue une présomption d’urgence, c’est-à-dire où l’urgence n’aurait pas besoin d’être démontrée. Le juge des référés constate toutefois que la mesure de suspension du réseau social en cause est limitée, l’ensemble des autres moyens de communication et d’information n’étant pas affecté, et temporaire, le Gouvernement s’étant engagé à lever immédiatement ce blocage dès que les troubles auront cessé. »
Cette décision qui se cantonne à relever le défaut d’urgence nous aura quelque peu laissés sur notre faim. De part et d’autre, les arguments étaient tels que l’on espérait un débat de taille. Au-delà de l’affaire devant le Conseil d’Etat, la question de l’efficacité de la mesure est inévitable. L’on sait qu’il est tout à fait possible de contourner ce blocage par l’usage des VPN.

Qui n’a pas entendu parler de l’affaire Pélicot, cette tristement célèbre affaire des viols de Mazan ? Parmi les nombreuses inquiétudes que soulève cette affaire, celle-ci n’a pas dû vous échapper : où diantre l’offre du mari qui livrait sa femme sous sédatifs et la demande des différents hommes impliqués ont pu se rencontrer ?

La plupart de ces discussions se sont initiées sur coco.gg. Et ce n’est pas la seule sinistre affaire dans laquelle coco.gg a servi de plateforme. C’est un site mis en cause dans des guet-apens, dans des affaires de pédophilie et crimes de toutes sortes. On dénombrerait environ 23000 affaires. La gravité des faits a justifié qu’une enquête soit diligentée avec des officiers sous anonymat. C’est ainsi que le 25 juin 2024, le parquet de Paris a annoncé la fermeture du site de rencontres coco.gg et, dans la foulée, une série d’interpellations ont été opérées. L’on pouvait lire désormais sur la page même du site ce message : « ce site a été fermé par la direction générale des douanes et droits indirects et la gendarmerie nationale, sous l’autorité de la JUNALCO (Juridiction Nationale de lutte contre la Criminalité Organisée) du parquet de Paris ».

L’anonymat que permettait le site était propice à toutes sortes d’activités criminelles. Le fondateur du site coco.gg, Isaac Steidl, a été mis en examen ce 9 janvier 2025 notamment pour administration illicite d’une plateforme en ligne, blanchiment d’argent, association de malfaiteurs, proxénétisme aggravé, complicité de détention et de diffusion d’images pédopornographiques etc… 

Cette affaire permettra de voir la mise en œuvre de la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, précisément en ce qui concerne l’infraction de fourniture de plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite en bande organisée.

Carrefour nous avait promis pour le 29 juillet 2024, une première en France en matière de modes de paiement. Dans un magasin de l’enseigne situé dans le 6ème arrondissement de Paris, il était prévu que le paiement avec la paume des mains soit désormais opérationnel. Finalement, cette expérimentation a été remise à une date ultérieure. Ailleurs, lorsque ce mode de paiement avait été mis en place, de nombreuses questions quant à son exécution en France avaient été posées. En effet, Amazon One avait permis de déployer petit à petit ce système aux USA. De quoi s’agit-il concrètement ? « Le client enregistre son schéma veineux et l’associe à sa carte bancaire ». Il suffira donc de scanner sa main au passage à la caisse pour que sa carte soit débitée. Lorsque ce système a fait son entrée dans les modes de paiement Outre-Atlantique, l’on avait commencé à se poser notamment la question des garanties de sécurité des données biométriques si ce mode de paiement devait se développer en France.

Le 19 juillet 2024, une grosse panne sur le logiciel Microsoft Windows a impacté les systèmes informatiques des secteurs privés et des secteurs publics comme des compagnies aériennes, des administrations etc…

Dans différents secteurs industriels, de nombreuses sociétés, plus ou moins grandes, délèguent leur sécurité informatique à un prestataire. En l’occurrence, Crowdstrike, spécialiste de la sécurité informatique, installe des outils de contrôle et de protection au cœur du système d’exploitation MS-Windows de leurs clients afin de surveiller toute panne, intrusion ou action malveillante.

écran bleu de panne windows sur les affichages de l'aéroport de New-York
BSOD sur les affichages de l’aéroport de New-York – CC BY-SA 4.0 – Smishra1 wikisource

Or, dans la nuit du 18 au 19 juillet 2024, une mise à jour de ces outils a généré une panne de la totalité des ordinateurs gérés par Crowdstrike. Installés au cœur du système d’exploitation, ces outils sont normalement incontournables à toute exécution sur les appareils équipés.

Est-ce que cette nouvelle version du produit a été éprouvée dans un environnement test proche de la réalité avant sa mise en service ?

Les grosses sociétés comme les aéroports ou les chaînes TV ne gagneraient-elles pas en efficacité à avoir leur propre service de sécurité informatique au lieu de déléguer ?

Cet épisode a révélé la dangerosité des concentrations de compétence via des prestataires hyper-spécialisés pour réduire les coûts et ce, au détriment parfois de la qualité de service. Par ailleurs, faire appel à un prestataire externe ne doit pas empêcher d’avoir en interne un minimum de ressources dans les domaines concernés afin de s’assurer la mainmise sur son outil de production ainsi que de veiller à la capacité de bien adapter les outils aux usages et, surtout, garder la capacité de mettre en place des solutions d’urgence.

Le samedi 24 août 2024, le patron de la plateforme Telegram, le Franco-Russe Pavel Durov a été interpellé à sa descente d’avion à l’aéroport du Bourget. Il faisait l’objet d’un mandat de recherche en France depuis peu. Dans le cadre d’une enquête préliminaire du parquet de Paris, le fondateur de Telegram devait répondre du silence de sa plateforme face aux requêtes judiciaires et d’une modération insuffisante. Le président Macron a jugé bon de préciser le contexte de cette arrestation pour écarter les différentes suspicions d’une arrestation politique qui émergeaient.

Mis en examen dans la foulée, Pavel Durov annonce dès le 23 septembre 2024 une modération beaucoup plus renforcée et une collaboration avec les autorités. Ce revirement est pour le moins surprenant, au regard des positions libertariennes souvent affichées par le jeune milliardaire.

Qu’est-ce qui a pesé dans la balance pour obtenir cette soudaine flexibilité en ce qui concerne la coopération de Telegram aux enquêtes criminelles? Les douze chefs d’accusations au rang desquels figurent la complicité de détention d’image à caractère pédopornographique ou encore la complicité dans le trafic de drogues auraient-ils suffi à donner une nouvelle perspective au cofondateur de Telegram ? En réalité, rien ne le lie à ces crimes sinon le rôle joué par sa plateforme.

Des dernières auditions de Pavel Durov, il ressort une volonté de coopérer avec les autorités sur les enquêtes en cours impliquant sa plateforme de messagerie.

Mood Music: Murder on the Dancefloor - Sophie Ellis-Bextor (2001)

Auteure, rédactrice

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