Think different, Tick different : de Apple à Swatch, un switch nommé déchéance.
C’est par un arrêt du tribunal de l’UE du 8 juin 2O22 (aff. T-26/21 à T-28/21) que la déchéance du slogan de Apple « THINK DIFFERENT » a été définitivement scellée en Europe ; à vrai dire, cet arrêt n’a été qu’une confirmation de la décision prise par la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) du 4 novembre 2020.

Cette déchéance ne conteste en rien la campagne historique de Apple avec THINK DIFFERENT. Depuis sa création en 1997 jusqu’en 2002, le slogan conçu par l’agence TBWA/Chiat/Day a été au centre de la communication de APPLE. Un spot publicitaire emblématique avait notamment porté cette formule. Dans la foulée, la phrase avait été enregistrée comme marque communautaire. En 2002, la campagne SWITCH a pris le relais de telle sorte que depuis 2005, Apple lui-même n’a plus renouvelé le dépôt de THINK DIFFERENT. Même s’il subsistait encore sur les emballages de certains produits, les cinq dernières années précédant le 14 Octobre 2016, date de la demande de déchéance à l’EUIPO par Swatch AG, l’usage de ce slogan a été estimé insuffisant pour continuer à être sérieusement affilié à Apple Inc. Il en est ainsi dans l’univers impitoyable des marques, elles doivent valablement servir ou s’attendre à périr.
Il serait assez intéressant de revenir sur la genèse de ce conflit. Swatch, célèbre entreprise d’horlogerie suisse avait fait le dépôt du slogan TICK DIFFERENT afin de l’utiliser dans sa campagne pour une gamme de montres connectées. La firme de Cupertino, ayant perçu dans ce signe verbal un air familier avec THINK DIFFERENT, s’est opposée à ce slogan devant le tribunal administratif fédéral suisse. APPLE devait alors prouver qu’une portion suffisante de consommateurs suisses (50% au moins) associaient THINK DIFFERENT à sa pomme. Mais voilà, en 2019, le tribunal administratif fédéral suisse n’avait pas été convaincu par la société américaine.
Communément, c’est lors du dépôt d’une marque que le dépositaire d’un signe s’oppose à l’enregistrement en faisant valoir une ressemblance avec son droit antérieur. Une telle opposition laisse trois options au déposant. La première consiste à agiter un mouchoir blanc. Il s’agit concrètement de négocier ou de renoncer tout simplement à sa marque pour trouver une autre alternative. L’avantage est qu’on s’épargne le coût et l’embarras d’une bataille judiciaire. Mais il n’est pas souvent aisé de faire ce choix. En effet, avant le dépôt d’une marque, on a souvent engrangé pas mal de temps et de dépenses pour la mettre sur pied. Il y a toute une « Storytelling » développée autour du produit que la marque est laborieusement ajustée pour communiquer. Il y a parfois déjà un tel engagement qu’il est difficile de renoncer.
La deuxième option est de se défendre en contestant l’opposition. La marque opposante s’appliquera à prouver que les produits visés par les marques sont dans des classes similaires et que le public de référence pourrait être confus par la similitude entre les deux signes. De son côté, le déposant s’attèlera à démonter l’argumentaire de son adversaire. Autant dire que l’exercice est fastidieux quand, d’une part, il y a une forte ressemblance entre les deux symboles et, d’autre part, il s’agit de produits ou services de classes identiques ou proches. Je vous suggère de vous prêter au jeu en ce qui concerne TICK DIFFERENT et THINK DIFFERENT. Faisable. Fastidieux. Convaincant ?
La troisième option, plus audacieuse, consiste à attaquer la validité de l’autre marque. En obtenant par exemple la déchéance de la marque de l’adversaire, l’on vide tout bonnement de substance son opposition. Il ne peut faire valoir un titre qui n’existe plus.
En l’occurrence, Swatch Group, après avoir tiré son épingle du jeu en affrontant Apple auprès du tribunal Suisse, a choisi de mieux installer son TICK DIFFERENT en enterrant le THINK DIFFERENT. C’est que, l’horloger suisse a plus d’une fois eu maille à partir avec la firme de Cupertino ! Et, plus d’une fois, il s’en est tiré à bon compte. Pourtant, au tout début, les deux firmes avaient paru se rapprocher autour du concept de montre connectée. Une collaboration était envisagée sur ce terrain. C’est finalement en cavalier solitaire que chacune s’est hissée sur le sentier florissant de la montre connectée.
Depuis leur flirt sans lendemain, les empoignades entre Swatch AG et Apple Inc.se sont succédées. Le groupe suisse s’était d’abord farouchement opposé au dépôt de la marque iWatch par Apple afin de protéger son propre iSwatch. Swatch ayant obtenu gain de cause, Apple s’est rabattu sur Apple Watch. Ensuite, il y a eu l’affaire « Swatch One More Thing » que certains afficionados de Apple ont considéré comme une provocation. Ils trouvaient que la formule en question s’inspirait du leitmotiv de Steve Jobs lors de ses keynotes. Mais le groupe Swatch assurait s’être plutôt inspiré du « just one more thing » de l’inspecteur Columbo. D’ailleurs, les montres ciblées par cette campagne étaient issues de l’univers des polars. Ainsi, le juge britannique a été convaincu par Swatch. Il n’a néanmoins pas manqué de relever dans la démarche de Swatch une subtile manière d’ennuyer Apple. Intentionnellement ou innocemment ? Telle est la question.
Une fois de plus, l’audace de la firme suisse a manifestement fait mouche : THINK DIFFERENT quitte l’écurie des marques de son adversaire. En règle générale, une déchéance pour non usage n’empêche pas l’ancien dépositaire de la marque déchue de déposer à nouveau sa marque. En réalité, combien le font ? Est-il pertinent de se raccrocher à quelque chose qu’on n’a jamais utilisé ou qu’on n’utilise plus. Une déchéance pour non usage ou insuffisance d’usage peut être perçue comme le signal d’un renouveau. Elle peut pointer un hic dans la gestion de son arsenal de marques. L’on peut envisager de la déposer à nouveau pour peu qu’elle rentre dans une stratégie bien définie. Il faut d’abord se poser les bonnes questions. Est-ce que la marque déchue continue d’être pertinente au sein de l’entreprise ? Correspond-elle toujours à la vision actuelle ? Quel intérêt y aurait-il à essayer de la réintégrer ?
Que Swatch ait pensé le « TICK » pour tacler son adversaire ou que ce soit une coïncidence purement fortuite, Apple a rendu plus vulnérable son « THINK DIFFERENT » en ne le renouvelant pas comme marque de l’Union Européenne. Un oubli ? Un désintérêt ? Un désistement involontaire ? Un choix en adéquation avec sa nouvelle lancée ?
Cette bataille s’inscrit dans mon top 5 de 2022 en propriété intellectuelle pour une simple question de taille que je me suis posée : combien de centimètres supplémentaires auraient permis à THINK DIFFERENT de se maintenir dans l’arène des marques ? En fait, pour éviter d’avoir à ranger son slogan dans les cartons, Apple a, entre autres, mis en avant l’usage de THINK DIFFERENT sur les cartons de ses ordinateurs iMac. En vain. Les caractères ont été jugés trop petits pour attirer l’attention du consommateur : « …ces éléments verbaux sont placés sous les spécifications techniques des ordinateurs iMac, et juste au-dessus du code-barres dans une taille de caractère assez réduite. ». En d’autres termes, ici, la taille a compté ; du moins, dans une certaine mesure. De surcroît, il aurait fallu sortir précisément les chiffres des ventes en Europe pour qu’on évalue si un public conséquent associe Apple au slogan THINK DIFFERENT. Bref, l’on retiendra que c’est de bonne guerre que chacune des firmes a défendu son titre. Mesdames et messieurs, dans l’arène des marques, tout est de bonne guerre !
Mood Music : Why should I care (1999) - Diana Krall

