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Un nouvel envol pour Twitter

« Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. » dit-on. Ce vieil adage aurait-il joué dans la décision d’Elon Musk de réitérer son offre de rachat de Twitter à 44 milliards après y avoir renoncé en juillet 2022 ? Pour beaucoup, le procès qui devaient s’ouvrir le 17 octobre 2022 n’aurait rien fait d’autre qu’engranger des dépenses inutiles pour contester un accord déjà entériné. En effet, il y avait eu une offre, le 14 avril 2022 et il y avait eu une acceptation initiée par la validation de l’accord de rachat par le conseil d’administration, le 25 avril 2022 ; tout le reste ne serait que lettre à écrire.

Cependant, pour renoncer au rachat enclenché, Elon Musk faisait valoir que l’estimation faite du nombre de faux comptes par les dirigeants de Twitter n’était pas conforme à la réalité. Twitter aurait bien plus de 5% de comptes fantômes, contrairement à l’estimation présentée par ses dirigeants. Les révélations faites en août 2022 sur les failles de Twitter par Peiter Zatko alias Mudge, l’ancien responsable de la sécurité informatique de Twitter venaient soutenir cette allégation. Étaient-elles pour autant suffisantes pour proprement l’étayer auprès du tribunal ?

S’il était avéré, preuves à l’appui, que les dirigeants de Twitter avaient induit en erreur sur le pourcentage des faux comptes, l’acquéreur souhaitant se soustraire à son engagement aurait alors disposé d’une cartouche solide pour faire mouche. Il va sans dire que le nombre d’utilisateurs est une qualité essentielle des réseaux sociaux. C’est notamment une donnée d’exploitation indispensable aux annonceurs souhaitant utiliser la plateforme. De ce fait, la quantité de faux comptes sur un réseau social a une incidence sur l’intérêt même du réseau. Mais cela suffit-il pour annuler un accord de rachat ? À quel moment exactement, cet élément a paru déterminant aux yeux de l’acquéreur ? Tant de questions se posent. Elles resteront sans réponse. En effet, Elon Musk a coupé l’herbe sous les pieds de ceux qui s’attendaient à une sanglante bataille juridique autour de ce rachat. Devançant l’ouverture du procès, il a préféré réitérer son offre au prix initial le 4 octobre 2022. Beaucoup ont vu dans ce revirement théâtral le signe que le procès se présentait mal pour le multi-milliardaire. Quoiqu’il en soit, on ne saura jamais de quel côté, la balance de la justice aurait finalement penché.

Tout bien considéré, acquérir un réseau social de la trempe de Twitter pour 44 milliards est loin d’être un mauvais arrangement. Depuis sa création en 2006, l’oiseau bleu était régulièrement convoité, assidûment courtisé et bassement délaissé. Il y a eu Google et Microsoft parmi ses courtisans les plus notables. Il faut dire que Twitter avait su progressivement déployer des atouts pour séduire : la capacité de suivre et d’être suivi par des gens connus et inconnus, créer et gérer une Timeline fluide avec les Tweets que l’on voulait voir, pouvoir réunir autour d’une idée avec le concept de hashtag… Twitter a été une sorte de pionnière dans ces innovations que tous les réseaux sociaux ont fini par suivre. On prêtait ainsi à l’oiseau bleu un fort potentiel. On avait pourtant du mal à lui trouver un modèle économique viable. Il y a plus d’une dizaine d’années, Google proposait environ 4 milliards de dollars pour son rachat. Depuis, l’application de microblogging de Jack Dorsey a su prendre du gallon, petit à petit. Elle a connu un démarrage mémorable en bourse le 5 novembre 2013 où elle a été valorisée à 24,9 milliards de dollars. Elle n’a pas hésité à faire quelques acquisitions comme notamment Périscope en 2015 pour continuer à se donner plus d’étoffe. Mais toujours, elle semblait se buter à l’épineuse question de sa rentabilité.

C’est précisément à cette question de rentabilité que Elon Musk s’attaque d’entrée de jeu. Il a annoncé faire payer pour l’abonnement Twitter Blue qui offre entre autres un badge de certification. La valeur de cet abonnement est de 9,60€ par mois en France. Beaucoup ont vivement critiqué cette idée qui a tout de même été mise en place. Une chose est sûre, que cela plaise ou non, Twitter a pris un nouvel envol avec un nouveau modèle économique. D’ailleurs, dans ce tout nouveau sillage qu’il trace, son concurrent Facebook/Meta ne compte pas rester en marge. Ce 19 février, « Meta Verified », un abonnement payant à 12$ par mois a été lancé par Mark Zuckerberg.

Qu’on se le dise, tout rachat d’une grosse entité est loin d’être une sinécure. Le nouvel acquéreur a une nouvelle vision qui se heurte parfois au terreau déjà en place. Il faut défricher tout ce qui n’est pas propice à l’implantation de cette nouvelle conception. Il faut ajuster sa lancée aux réalités du terrain puis laborieusement apporter les engrais nécessaires à l’enracinement des idées nouvelles. C’est une adaptation à long terme avec d’inévitables ratés. Cette période d’adaptation, très suivie dans le cas de Twitter, peut laisser entrevoir certaines failles. Il faut dire que Elon Musk sait en jouer pour la visibilité de sa plateforme.

Pour les besoins de ce billet de blog, j’ai voulu interroger la liberté d’expression. Elle n’a pas souhaité faire de commentaires, pour le moment. Je reviendrai à la charge. Restée en filigrane de ce rachat houleux, elle a tant été brandie, de part et d’autre, qu’il serait dommage de ne pas lui laisser l’estrade. Il serait intéressant de consacrer une tribune aux frasques des réseaux sociaux, de tous les réseaux sociaux avec la liberté d’expression. Pourquoi pas une prochaine fois ?

Mood Music: Hungry eyes (1987) - Eric Carmen

Auteure, rédactrice