Le lapin or et les boules Lindor : une chasse gardée de Lindt
Allez, ce sont les fêtes de fin d’année, l’occasion est propice à servir une histoire de chocolat ! Non, ce n’est pas un conte des frères Grimm. Ni une fable de la Fontaine. Quoique… Il serait bien tentant de citer ici le chat, la belette et le petit lapin où, le chat fourré, « Grippeminaud le bon apôtre jetant des deux côtés la griffe en même temps, mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre ». Vous l’aurez compris, il s’agira d’une saga judiciaire croustillante.
Il était une fois donc les boules Lindor de Lindt & Sprüngli d’une part, et d’autre part une édition de Noël de boules de chocolat Moser Roth. La mise en vente en Septembre 2024 par ALDI de cette édition de Noël de boules de chocolat dans des emballages bleues et rouges n’a pas été du tout du goût de Lindt & Sprüngli qui, a fini par saisir le tribunal de commerce d’Argovie, pour mettre fin à leur commercialisation en Suisse, après une mise en demeure adressée à ALDI par une lettre en date du 3 décembre 2024. Estimant que les emballages des deux produits étaient similaires, Lindt & Sprüngli a fait valoir que les boules du discounteur allemand reprenaient les codes visuels établis pour les boules Lindor, présentes depuis 1969. Le 14 décembre 2024, il a été décidé par le tribunal de commerce d’Argovie qu’ALDI retire de la vente en Suisse les boules litigieuses, à cause du risque de confusion entre les deux produits. Cette interdiction provisoire sera valable jusqu’au 13 mars 2025, un délai de trois mois dont le chocolatier suisse dispose pour porter plainte afin que l’affaire soit jugée au fond, selon la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance du 28 août 1992.

Ce tout nouvel épisode dans les aventures judiciaires de Lindt & Sprüngli n’est pas sans rappeler les nombreuses escarmouches de son Lapin Or. La rumeur veut que ce lapin à l’emballage doré soit l’œuvre d’un maître chocolatier ayant voulu consoler sa fille, attristée de voir un lapin s’enfuir alors qu’il devait annoncer le printemps. Il faut reconnaître à Lindt l’art du storytelling et le pouvoir d’inscrire ses produits dans une tradition propre forte. En juillet 2021, un tribunal fédéral avait consolidé le Lapin Or comme la propriété intellectuelle de l’entreprise helvétique face à un chocolatier allemand, Heilemann, qui avait proposé ses lapins dans des emballages dorés en 2018. Certes, il est d’usage en Allemagne de faire des lapins en chocolat à Pâques mais celui à l’emballage doré est lié à Lindt.
En France, le Lapin Or de Lindt & Sprüngli a dû livrer un combat sans merci contre les lapins FAVORINA mis en vente par LIDL. Ce dernier a beau avoir défendu bec et ongles ses différents lapins en chocolat à l’emballage doré, à l’emballage en bronze, à l’emballage crème, leur commercialisation a été considérée comme des actes de parasitisme au préjudice de la société de droit suisse. « Par décision du 15 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la SNC Lidl a porté atteinte à la renommée de la marque tridimensionnelle de l’Union européenne « LINDT GOLDHASE » n°001698885 dont la société de droit suisse Chocoladefabriken Lindl & Sprüngli AG est titulaire, et l’a condamnée à réparer le préjudice en résultant ».
Cependant, le Lapin Or de Lindt n’est pas non plus sorti indemne de ces échauffourées avec l’entreprise allemande. Déjà, les arguments de LIDL pour faire annuler l’ordonnance du 20 juillet 2017 du tribunal de grande instance de Paris qui interdisait la commercialisation du lapin Favorina laissaient augurer une demande de nullité des marques dans la bataille à venir. Effectivement, pour LIDL,« les marques verbale « Lapin Or » et tridimensionnelle dont la société Lindt se prévaut encourent la nullité au motif qu’elles sont purement descriptives et dépourvues de caractère distinctif, la première en ce qu’elle constitue la désignation nécessaire d’un lapin de Pâques et la seconde en ce qu’elle correspond à la forme du produit en cause ». LIDL brandissait également le fait que le Lapin Favorina, en dehors du papier doré et de sa forme assise, ne ressemblait aucunement au Lapin Or de Lindt. Les dispositions du nœud, les couleurs du ruban et les inscriptions différaient.
Ces arguments de LIDL n’avaient alors pas manqué de faire mouche puisque dans son arrêt du 18 octobre 2018, la cour d’appel de Paris avait annulé l’interdiction de commercialiser les lapins dorés de Favorina.
Revenons à cette fameuse nullité pour manque de caractère distinctif prévue par l’article 711-2 du code de la propriété intellectuelle. Eh bien, une marque purement descriptive du produit ou du service auquel elle est rattachée encourt une nullité. Pensez-vous que Lapin Or ou Goldhase pour un chocolat qui représente un lapin avec un emballage doré ait ce caractère distinctif ? Il est possible à défaut d’une distinctivité ab initio de lui reconnaître une distinctivité par l’usage. Le consommateur associe-t-il de facto le lapin à l’emballage en aluminium doré à Lindt ?

Reconnaissons que LIDL a su saisir le Lapin Or au collet avec ses demandes de nullité. C’est de bonne guerre. S’il était arrivé à annuler toutes les marques de son adversaire, il l’aurait remporté. Le 15 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a prononcé « la nullité de la partie française de la marque tridimensionnelle internationale n°882977, enregistrée le 28 mars 2006 ». Par ailleurs, le tribunal a dit « dépourvue de représentation claire, accessible et intelligible la marque tridimensionnelle internationale n°882978 désignant la France, enregistrée le 28 mars 2006, dont la société de droit suisse Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG est titulaire ». Il a été « prononcé en conséquence la nullité de la partie française de la marque tridimensionnelle internationale n°882978 désignant la France, enregistrée le 28 mars 2006 ».
Par contre, le tribunal a déclaré irrecevable la demande en déchéance de la marque verbale de l’Union européenne « LAPIN OR » n°008560195 dont la société de droit suisse Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG est titulaire. Le tribunal a également débouté la SCN Lidl de ses demandes en nullité de la marque tridimensionnelle de l’Union européenne « LINDT GOLDHASE » n°001698885 et de la partie française de la marque verbale internationale « LAPIN OR » n°746282 pour défaut de distinctivité.
Autant dire que ce jugement du 15 avril 2022 n’avait réellement fait aucun gagnant. Les marques verbale et tridimensionnelle Lapin Or se retrouveraient en mauvaise posture, une fois cette décision devenue définitive. LIDL, pour sa part, a été tout de même condamné pour parasitisme.
En somme, les heurts des premières salves ont fini par rendre les deux antagonistes de cette affaire d’accord. En tout cas, c’est ce qu’on constate à la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 5 juillet 2024 qui, « vu l’accord des parties, infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit dépourvue de représentation claire, accessible et intelligible la marque tridimensionnelle internationale n° 882977 désignant la France, enregistrée le 28 mars 2006, dont la société de droit suisse Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG est titulaire, prononcé en conséquence la nullité de la partie française de la marque tridimensionnelle internationale n°882977, enregistrée le 28 mars 2006, dit dépourvue de représentation claire, accessible et intelligible la marque tridimensionnelle internationale n°882978 désignant la France, enregistrée le 28 mars 2006, dont la société de droit suisse Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG est titulaire, prononcé en conséquence la nullité de la partie française de la marque tridimensionnelle internationale n°882978 désignant la France, enregistrée le 28 mars 2006 ».
La moralité des péripéties françaises du Lapin Or est certainement qu’il vaut mieux un mauvais accord qu’un bon procès. Néanmoins, du côté de la Suisse, LIDL avait été condamné par le tribunal fédéral en septembre 2022 à détruire ses lapins, jugés similaires au Lapin Or. Bien qu’étant à domicile, la partie n’a pas été aisée pour Lindt qui, avant cette victoire, avait perdu la première manche.
Quelle sera, en Suisse, l’approche de la firme helvétique envers ALDI en ce qui concerne les boules LINDOR ? Saisira-t-elle le tribunal, avant le 13 mars 2025, afin d’essayer d’obtenir l’interdiction définitive des boules Moser Roth ?
En tout cas, le message laissé par ces différents épisodes judiciaires de Lindt & Sprüngli est clair : ne touchez pas à son veau d’or, enfin à sa bourse en or. Que ce soit le Lapin Or ou les boules Lindor, c’est chasse gardée. M’enfin, on vous parle, pour les boules Lindor, d’un montant annuel de 44,8 millions de francs suisses sur le seul marché helvétique ! Qui se laisserait faire !
Mesdames et Messieurs, dans l’arène des marques, tout est de bonne guerre !
Mood music : I ain’t feeling it – Little Simz

